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par Tétard dingue (9 points) dans Système monétaire
Bon, je me lance...

Ca fait bientôt 30 ans que je bosse dans l'industrie bancaire ou financière. Non en tant que banquier mais dans des sociétés de services, de conseils ou des départements informatiques (IT) au sein des banques. Au debut c'était passionnant de méler joyeusement l'informatique et la Finance, et plus c'était compliqué, plus je m'éclatais. Trouver des solutions optimales, répondre a des problèmes utilisateurs de plus en plus complexes... Quand on nage dans la naïveté, on se rend pas bien compte, on a meme le sentiment de servir a quelque chose en concourant a simplifier la vie des gens (mes clients ou mes collègues banquiers). Depuis une quinzaine d'années, je me suis specialisé dans les produits derivés. En gros les options, les contrats a terme, les swaps, les barrières, les caps, ... je vous passe les détails, sans aspirine ca peut paraitre indigeste. Pour résumer il y en a deux types : les dérivés listés, échangés sur des marchés organisés, et les produits échangés directement entre institutions financieres (OTC). Je ne parle ici que des seconds. Les marchés organisés amortissent beaucoup mieux les risques.

Le point ou je veux en venir, c'est qu'en me spécialisant, j'ai du creuser pas mal dans les details, pour réaliser que c'est très merdique. Desolé j'ai pas trouvé plus court et précis. Les calculs de valorisation sont basés sur des modèles probabilistes, en suivant des loi Normales et agrémentés de quelques paramètres pour affiner la sauce, suite a des avancées de remarquables prix Nobel d'Economie. Mon ton est sarcastique, mais la réalité est la : on enseigne dans les universités que l'Economie est une science (bien placé pour le savoir). On calcule des risques avec la meme précision que les prévisions météo, qui fonctionne dans un meme référentiel chaotique. Il n'y a qu'a ouvrir la fenêtre le matin pour comprendre que tout ceci ne sont que des estimations probabilistes qui fonctionnent parfois. Ou pas.

Or le vrai problème c'est que les résultats de ces calculs nourrissent les bilans et les comptes de résultats des banques, qui sont truffés de positions en produits derivés, donc des montants notionnels avec des effets de leviers conséquents, avec des chiffres qui ne représentent aucunement la réalités des risques inhérents a ces positions. Mais de manière complètement consensuelle, c'est "maîtrisé". Pourquoi consensuelle ? Parce que tous ces bilans sont audités, et que tous les cabinets d'audit utilisant les memes modeles de valorisation, confortent l'idée que tout va bien. La banque A a comptabilisé l'opposé de la banque B avec un écart de 3%, c'est parfaitement satisfaisant. Sauf que si soudainement un chaos emerge sur les marches, l'une des deux, celle qui aura sous estimé une perte latente va prendre un méchant bouillon. Et si elle est très grosse, elle va jouer la carte du risque systémique. Et que si le gouvernement croit a cette menace, il va financer les pertes. Avec l'argent des contribuables. Qu'il n'a pas. Ou pas encore. Alors il va émettre de la dette, sur les marches financiers. Et va payer des intérêts que les banques vont encaisser joyeusement.

Donc depuis 2006 je craque. Aucune industrie n'a jamais été autant subventionnée pour des raisons d'incompétence. Quand on dirige des sociétés en prenant des risques non maitrisés on est incompetent. Quand on pleurniche pour se faire refinancer au frais des contribuables et que 3 ans après on recommence de plus belle, on est incompetent. Parce qu'on a rien appris. Dans cette sphere financiere, complètement decorrelée de l'économie réelle, des opérateurs s'échangent des bombes a retardement, sans avoir la moindre idée de ce que c'est, juste en s'assurant de pouvoir revendre a 10 ce qu'ils ont acheté a 5. Donc la prochaine crise financière, on y va droit.

Alors me voila avec ca, sans trop savoir que faire. Il y a 3-4 ans j'ai pensé écrire un bouquin, une sorte de continuum de ce qui a pu être écrit suite a la dernière crise financière (sub-primes),  car depuis rien ne bouge. Des regulations sont arrivées, mais au total complètement inutiles. Alors j'ai passé une année a lire sur le sujet et plus largement sur le système financier, histoire de pas répéter des choses deja décrites et correctement situer le truc. Et chaque mois passant je déprimais de plus en plus. J'ai tenté d'en parler autour de moi, certains intrigués, d'autres résignés, la plupart inconscients et "houlla ca me dépasse tout ca". Pour conclure que j'allais perdre mon temps sur un bouquin qui ne servirait a rien.

Donc je vous pose pas ici une idée mais une question, ou un appel a l'aide. S'il faut developper, je peux décrire tout ca pendant des heures.

Merci pour votre attention et idéalement vos suggestions.

PS: désolé pour les fautes, ca n'est pas mon habitude mais je n'ai pas de clavier accentué alors pas facile pour le français ;-)

5 Réponses

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par Crapaud fou (61 points)
pas de réponse technique faute de compétences mais je relis ton idée pour y voir plus clair.

très bien le livre, ce qu'il faut c'est informer: tu peux donner la référence ?

Donc, quels moyens pour toucher le plus grand nombre ? contacter les médias qui vont bien (Médiapart, LeMédia, ...) ?

tu te sens d'être un lanceur d'alerte ?

au plaisir d'échanger et d'apprendre.

jérôme
par Tétard dingue (9 points)
Je ne sais pas si un livre est une bonne option car le domaine est peut être trop spécialisé ou technique. Qui va lire ca ? des convaincus ? Ceux qui profitent ne vont pas chercher a changer une situation qui leur est bénéfique. Les autres seront rebutés par le sujet je crains fort.
Mais informer je suis très motivé. D'autant que petit a petit le citoyen se fait bouffer, sans meme parfois s'en rendre compte. Un exemple : tous les français ont reçus un papier de leur banque il y a quelques temps les informant que leurs dépôts étaient désormais garantis a hauteur de 100'000 EUR. Ça veut dire quoi ? que si une nouvelle "crise" se produit et que les banques ont a nouveau besoin de liquidités, elles iront taper dans les comptes de dépôts des clients dépassant cette somme. C'est pas un scandale ca ? Donc elles peuvent continuer a deconner, elles ont une désormais une assurance pertes, qui leur évitera de re-demander aux états  de les re-subventionner. C'est plus discret, et par ailleurs certains états ont déjà annoncés que les aides post-crise de 2008 ne seront plus renouvelées.  
Lanceur d'alerte... pas sur d'avoir envie de prendre ca sur mes épaules. Comme je l'expliquais mes lectures m'ont convaincu que la pente prise depuis une quarantaine d'annees est très mauvaise. Donc il n'y a pas que ce sujet des produits dérivés qui dysfonctionne grave.  En fait il y vraiment beaucoup d'énormités dans cette sphère financière. Mais très volontiers pour échanger dessus néanmoins.
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par Crapaud fou (39 points)
Merci pour ce partage
T'es connaissances sont précieuses.
Pourrions nous hacker les systèmes ?
Par exemple, créer des structures qui pourraient utiliser leur fonctionnement pour amener des fond vers des coopératives travaillant pour le bien commun
J'ai appris qu'ils ont commencé à titriser le maintient de la biodiversité. Ne pourrions nous pas faire ça proprement ?
J'ai vu que qonto (néo banque) a maintenant sa propre accréditation bancaire. Ne pourrions nous pas créer une banque ?
...
Moi je viens du monde des startups, de la frenchtec, de la Smart city. J'ai aussi été écoeuré...
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par Batracien fou (260 points)

Bonjour,

As-tu lu « Une approche fractale des marchés » ? Qu'en penses-tu ? La vision que tu présentes de la finance semble être un écho de ce que raconte l'auteur : Benoît Mandelbrot. Je suis curieux d'avoir ton point de vue.

par Tétard dingue (9 points)
edité par
Bonjour, et merci pour ton commentaire.
J'ai lu ce livre, mais il y a longtemps du coup pas sûr de me souvenir des détails. Je l'avais trouvé très bien et intéressant.
La météo comme la finance sont deux domaines typiquement chaotiques. Le problème venant du fait que pour le second, de nombreux acteurs avides de toujours plus d'argent prétendent le contraire et enfument le reste du monde en assurant que c'est sous contrôle et sans (trop de) risques. Donc la démarche de cet éminent Mandelbrot est très pertinente.
Prendre la confiance dans les prévisions sur les marchés, c'est comme sortir sans parapluie ce matin parce que la météo a dit que...
Du coup tu m'as donné l'envie de relire ce bouquin ;-)
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par Crapaud fou (44 points)
Marc, je pense que ce genre de comportement ne se limite pas  à l'industrie financière. Les économistes font des projections à partir de statistiques qui servent ensuite de référence au monde politique pour établir des budgets. La seule mesure qui importe c'est le PIB et sa croissance, et pour finir on prédit l'avenir avec une représentation du monde du futur en 1 dimension en extrapolant les données du passé. On interprète les résultats chacun à sa façon en fermant un oeil sur l'événement de probabilité zéro et en se cantonnant dans la macroéconomie. Tout ces experts sont grassement payés pour brasser des milliards d'euros ou de dollars qui ne leur appartiennent pas. Ce qui me stupéfie, c'est cette prodigalité soudaine pour sauver le système en ces temps de pandémie. C'est à celui qui dépensera le plus de milliards. C'est un climat d'apocalypse, quand on pense qu'il y a un an, il fallait se serrer la ceinture pour équilibrer les budgets. Intérêt à taux zéro voire négatif, c'est la fin d'un monde.

Ton livre fera les délices d'un groupe d'initiés s'il est trop technique et d'un public énorme s'il s'accompagne d'un effort de pédagogie. Le plus sûr serait de le publier en gardant l'anonymat, mais je soupçonne, vu l'état de stupéfaction dans lequel la pandémie les a plongés, que nos élites n'aurons pas l'énergie d'entamer des représailles.
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par Tétard déjanté (18 points)
La lecture de ton petit article me fait penser à la lettre ouverte de Jeremy Desir Weber, il y a deux ans.

Seulement quelques médias et petits groupes de gens intéressés en on parlé, ont partagé. Mais ça a suffi pour arriver jusqu'à moi qui n'ait rien à voir avec la finance et n'en connais que les relations épisodiques avec ma banque dont je sais pertinemment que ce n'est ni la meilleure, ni la moins pire...

Mais que reste-t-il de cette lettre ouverte aujourd'hui ?

Que reste-t-il d'ailleurs de tous ces autres lanceurs d'alerte dont personne n'a entendu parler parce que leur parole n'a pas porté plus loin que le cercle restreint de leurs amis/connaissances ?

Venir écrire dans les idées des crapauds fous, c'est un bon début.

J'ai regardé les dates des diverses réponses, et je vois bien que ça touche peu de monde, de façon épisodique, alors même que chez les crapauds, on est assez ouverts, concernés... bref, c'est un endroit où ce genre d'idées aurait pu grandir.

J'ai ressenti profondément ta désillusion grandissante en lisant ton article : en devenant moins naïf dans ta progression professionnelle, puis en lisant sur le sujet, et en essayant d'en parler autour de toi. Et grandit l'idée en écrivant ma réponse que la désillusion a du continuer à grandir, faute de réponses ici aussi.

Pourtant, les connaissances que tu as sont primordiales.

Combien de gens ont intégré dans leur conscience qu'il y a un système ?

Que tout ça n'est pas, comme on l'apprend en quelques cours à l'école " la main invisible du marché", aléatoire et dépendante uniquement des offres et demandes, indépendante et involontaire... Mais que c'est bel et bien un modèle construit, mathématisé (et mathématiser quelque chose, pour moi, ce n'est pas en faire une science tout comme créer un algorithme n'est pas faire une IA) et surtout très bien organisé.

Je pense qu'il est important de réaliser qu'il y a un système. C'est la moindre des choses : même si on ne comprend pas comment il fonctionne après 3 semaines et 10 tubes d'aspirine, appréhender que c'est un danger qui peut nous écraser à n'importe quel moment.

Tu parles de l'idée d'un livre. Pourquoi pas. C'est un long travail, il faut y mettre pas mal d'explications, de la pédagogie, le faire éditer, promouvoir un minimum sa sortie.
Il y a cet exemple que je citais au début, la lettre ouverte, qui se pose sur le web et fait son chemin suivant la promotion que tu en fais et qu'en font les médias.
D'ailleurs en parlant de médias, il y a aussi aujourd'hui les médias autonomes et engagés : la liste s'allonge chaque jour (en plus de Médiapart et Le Média déjà cités, tu as Mr Mondialisation, Reporterre, Les Econocalstes, La relève et la peste, ... vraiment ça se multiplie !) peut-être seraient-ils intéressés pour faire un article, une interview... ???

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